Alexis Goujon : Bruno, pour introduire le sujet avec une vision un peu élargie du média, Pourrais-tu nous partager ton expérience des approches locales et mix media en Belgique.
Bruno Van Boucq : Nous avons la chance en Belgique d'avoir un organisme tripartite basé sur les annonceurs, les agences et les médias qui depuis 40 ans mesure l'ensemble des médias et tout ça au sein d'un même organisme. Ainsi, chaque média, de façon verticale, dispose de sa mesure d'audience. Il existe également au sein de cet organisme une étude cross-media qui nous permet de comparer les attitudes et les habitudes des consommateurs au travers de leur consommation et des différents médias. J'ai eu la chance d'y siéger plus de 15 ans en tant qu’administrateur et de participer aux différents comités et commissions techniques, et chez Proxistore, nous nous sommes beaucoup inspirés de cette expérience.
A.G. : Claire, tu travailles au quotidien sur l'analyse de personae et sur leur consommation médias, ce qui te permet de conseiller tes clients sur les bonnes stratégies à mettre en place. Comment procèdes-tu et quelles sont les données que tu utilises ?
Claire Bizot : Pour ma part, j’interviens très en amont de la stratégie média sur la partie insight et planning. En France, nous disposons de beaucoup d'études au niveau national, Médiamétrie sur la télévision et la radio, Médiamétrie net Ratings, des études sur la presse et une étude en particulier qui s’appelle TGI et qui réconcilie les audiences avec du déclaratif. Il est vrai que depuis quelques années, il y a un « hub » qui s'est installé avec TGI qui fournit des informations issues des différentes études de référence.
Au niveau national, il est extrêmement confortable de "redescendre" dans les datas pour créer des personae. Au niveau local, on sent depuis quelques années que les mesures d'audience et notamment Kantar travaillent pour intégrer de plus en plus d'informations sur le local. Par exemple, les télévisions locales et les radios locales sont entrées dans TGI, ce qui permet de mieux comprendre la consommation des individus au sein des personae qu'on va créer sur les territoires. Nous avons également, par exemple, le « stop pub » et demain le « oui pub » qui nous permet de cibler efficacement en local, à l’iris.
Sur nos clients chez CoSpirit, nous avons une réflexion très bottom-up, contrairement à certaines grosses agences qui travaillent au national voire à l’international et qui vont ensuite « cascader » les stratégies au niveau local. Chez CoSpirit, nous partons de notre approche « La France de » qui considère la France de notre client annonceur et qui permet de mieux comprendre ses spécificités territoriales.Si on prend l'exemple d'un annonceur comme l'ESF, l'EtablissementFrançais du Sang, les donneurs de sang ont entre 18 et 59 ans et quand on zoome sur la région Grand-Est par exemple, on va s'apercevoir qu'il y a des consommations média qui sont différentes sur cette zone et sur cette cible.
Nous allons donc engager des discussions avec nos équipes médias locaux et le client pour faire des arbitrages de dispositifs locaux en conséquence, qui prennent bien évidement en compte le budget et les objectifs de la campagne.
A.G : Sur les leviers digitaux, Romain, il existe des méthodes et des outils permettant de réaliser des ciblages très précis, à la fois en audience planning et en géomarketing. Quelles solutions proposez-vous chez Mobsuccess pour activer des campagnes digitales efficaces ?
Romain Girard : Il existe effectivement plusieurs approches et chez Mobsuccess nous travaillons beaucoup sur le drive-to-store. Le géoplanning va donc être le premier filtre que nous allons appliquer, tout simplement parce que nous allons pouvoir déterminer quelle est la probabilité de fréquentation, quartier par quartier, pour définir la zone de chalandise la
plus efficace. Dans cette zone, il y a des gens qui ont de fortes chances de venir et c’est donc ici que je vais générer du trafic. Un peu plus loin sur la zone, cette probabilité de fréquentation diminue et là je vais, par exemple, plutôt travailler le branding de ma marque.Une fois que j’ai cette zone de communication prioritaire, je vais travailler mon approche audience planning pour savoir si les personae qui ont été construits sont bien présents, est-ce que j'arrive à les retrouver d'un point de vue « data », et on va pouvoir calculer avec nos médias quelle va être la couverture atteignable avec le bon niveau de contacts utiles.
C’est assez évident sur une cible « ensemble 18+ », mais si par exemple on cherche des propriétaires de chats qui mangent des croquettes sèches en plus, là on va vraiment avoir besoin de data pour quantifier le potentiel à l'intérieur de la zone et pouvoir les cibler grâce à la data pour ne disposer que de contacts utiles.A.G. : Ce ciblage de zone très adapté aux retailers, est-il aussi adapté pour les marques ?
R.G : Oui tout à fait, parce que les consommations de certains produits ne sont pas les mêmes partout en France. Par exemple, les bières d’abbayes sont plus consommées dans le nord de la France qu’ailleurs, c'est une question d'habitude, et donc se sont des zones dans lesquelles il y a plus besoin de faire de la fidélisation si on veut augmenter le consommation de ce type de produit, en tout cas limiter la perte de terrain par rapport à d'autres marques.
Sur les territoires où la marque est moins consommée, on aura un autre discours, plus de présentation, avec une stratégie média voire une création et un message différents selon les insights qu'on va remonter du terrain, car finalement le national c'est une somme de localités qui ont toutes leurs spécificités.C.B. : Pour compléter, on peut avoir une marquede grande consommation qui peut être consommée de manière globale, mais pour des raisons de distribution on pourra aussi avoir une réflexion adaptée. Une marque peut être en rupture dans une enseigne de distribution sur certaines régions et donc la balance nationale n'est plus tout à fait équilibrée, et il faut pouvoir avoir des stratégies pour compenser.
A.G. : De ton côté Bruno, l'approche est-elle similaire ? Sinon, en quoi diffère-t-elle de celles déjà évoquée ?
B.V.B : Nous avons la chance de disposer d'une technologie brevetée quel que soit le device, très précise dès lors qu’on dispose du consentement et très confortable néanmoins quand on n'a pas de consentement ou pas de cookies. C'est une approche plutôt user centric, avec en France plus de 120 millions de device qui sont géolocalisés en temps réel.
Ainsi, pour chaque bid request, c’est-à-dire chaque possibilité d'afficher une publicité, nous disposons d’une localisation confortable pour faire du local. Une fois qu'on a mesuré ces audiences, nous sommes capables de déterminer à la fois un budget pour un annonceur local, mais aussi le besoin de répétition du message par rapport aux types de cibles. On sera par exemple capable d'identifier des temps de parcours à vélo, à pied, en voiture entre l'habitat de la personne et le magasin où elle se rend. Nous aurons également la capacité de distinguer les autochtones, c’est à-dire les gens qui habitent la ville ou un quartier, des allochtones qui traversent la ville ou qui s'y rendent pour travailler et qui ne vont pas forcément consommer localement de la même façon que les autochtones, notamment en termes de tranches horaires de consommation. C’est donc intéressant d'avoir cette connaissance avant même les campagnes pour pouvoir informer le médiaplaneur et l'annonceur sur ces possibilités magasin par magasin.Je reviens sur ce que disait Claire tout à l'heure, c'est effectivement une approche bottom-up et non pas top-down, car on va partir de la localité pour identifier le nombre de personnes et de contacts possibles, puis on va croiser ça avec de la data pour composer avec ces différents personae.
A.G. : Le key point c'est la data, Benoît de ton expérience, qu’est-ce que cette data peut apporter au media local et comment l’utilise-t-on pour apporter plus de valeur ajoutée au ciblage ?
Benoît Oberlé : Ce que peut apporter la data est plutôt clair, et Claire d'ailleurs l’a expliqué justement tout à l'heure. Il y a toujours ce ping-pong entre la nécessité de connaître sa cible pour savoir comment la toucher et la sélection de médias au niveau local et au niveau national qui peuvent varier ; dans cette région je fais un peu plus de radio, dans celle-ci un peu plus de presse quotidienne par exemple. La première approche data est celle qui définit la localisation, et sans vouloir vulgariser ou démystifier une part de la publicité, il y a toujours une approche, une dimension locale, régionale, nationale, internationale, pan-européenne. Il y a toujours un filtrage sur une zone. Bien évidemment, on ne fait jamais une campagne
internationale sans chercher à optimiser sa campagne. La différence, c'est quand on fait une campagne à un niveau national la marge d'erreur est très faible, c'est-à-dire que les outils permettent globalement tous de cibler des médias nationaux. Quand on veut s'adresser à la masse, on peut cumuler des médias locaux ou filtrer sur l'ip quand on parle de digital. Mais quand on descend au niveau local, régional ou à l’iris, il faut que les outils soient un peu plus précis parce que la marge d'erreur est fatale. On peut se tromper de quelques mètres et ça suffit à sortir de la zone de chalandise d'un annonceur.
Donc ça c'est vraiment le premier niveau : localiser la campagne, savoir quels médias consomme ma cible, et tout ça est très logique parce que c'est ce qui permet d'optimiser la campagne en matière de coût, d’économie d’énergie, etc…La deuxième étape, une fois que j'ai défini comment et où je vais communiquer, c’est l’optimisation du dispositif. Car dans l’audience des médias que j'ai choisis, il y a une partie qui compose ma cible et puis il y a une partie qui est hors de ma cible. Tout le monde ne veut pas acheter en ce moment une voiture, tout le monde n'est pas le client idéal pour la
chocolaterie, même si elle est nationale ! Il faut donc cibler et ça c'est vraiment la digitalisation de tous les médias aujourd'hui qui nous le permet et c'est le métier de Sirdata que je représente. C’est à partir de la cible définie dans TGI ou dans World panel, d’aller déterminer dans le média utilisé qu’elle est la portion utile pour cette campagne. Ca ne signifie pas qu’elle ne l'est pas pour d'autres campagnes, mais pas pour cette campagne.B.V.B : Ces datas et ces insights se retrouvent dans les plateformes qu'on appelle des DSP. Donc, en plus de la géolocalisation on va pouvoir cibler, ou filtrer parce qu'on peut aussi exclure des profils, de manière automatisée.
B.O. : Ces plateformes peuvent aussi cumuler les différents médias digitalisés, du DOOH, de la télévision, de la TV segmentée, du web bien sûr. Ce qui permet de aussi mesurer la répétition sur différents médias, l'exposition d'un utilisateur à l'ensemble de ces médias.
B.V.B. : Tout ça est très empirique, c'est l'expérience qui permet de dire que la qualité va venir au travers de cette répétition des messages. Notamment sur les zones de chalandise qu'on a définies, au départ souvent pour la distribution de prospectus, avec des considérations liées à la distribution elle-même et pas forcément pour des raisons économiques. Après 2 ou 3 campagnes, on va pouvoir redéfinir ces zones de diffusion et distinguer la zone primaire qui va certainement amener des clients en magasin, de la zone secondaire où on va trouver des personnes qui vont voir la campagne, qui vont peut-être commander en ligne et se rendre en magasin pour récupérer le produit. Sur ces zones plus éloignées, on va voir la campagne et on va plutôt passer en e-commerce mais ça doit être apporté aussi au chiffre d'affaires du magasin.
A.G. : je voudrais à présent qu'on aborde le sujet du media planning pluri-media. Claire, comment accompagnes-tu à la fois les experts en interne chez CoSpirit et tes
clients sur le choix du meilleur mix-media en prenant en compte cette hétérogénéité géographique des comportements des Français et de l’offre media ?C.B. : Quand on fait une campagne nationale, que ce soit en presse ou en radio, il faut savoir que ce qu'on va délivrer comme pression sur les régions n'est pas homogène. Alors oui, il est vrai que dans les outils de media planning de la radio on peut ventiler les GRP et la pression délivrée par les GRP du client sur sa cible et sur les régions. Sur la presse, nous disposons de MediaLand avec les données de l’ACPM et de Onenext
qui permettent aussi de descendre sur le département et voir les surpressions du plan.Pour la télévision en revanche, nous atteignons les limites des outils parce que c'est un média de masse. Chez CoSpirit, nous avons développé une approche qui s'appelle « la France des GRP TV ». Nous récupérons les pressions qui sont délivrées par la campagne d’un client que nous allons reventiler à la région grâce aux déclaratifs par tranche horaire de TGI. On s'aperçoit alors que sur ces médias qui sont dits nationaux, on ne va pas avoir la même pression délivrée sur les différentes régions. Il faut alors procéder à un rééquilibrage de la pression publicitaire avec des dispositifs media locaux. Il est important que les annonceurs prennent en compte cette disparité régionale de la télévision dans leurs plans media.
A.G. : Romain, est-ce qu’il possible, et facile, de distinguer les zones de deux magasins proches ?
R.G. : Oui, pour cela nous utilisons les données GPS qui vont nous permettre de voir les déplacements des personnes, quelles sont celles qui sont dans les magasins, où est-ce qu'elles habitent et voir les proportions quartier par quartier du nombre d'habitants qui va dans tel magasin plutôt que dans tel autre. Nous avons besoin d'avoir une relation de confiance forte avec notre client car ce sont in fine des choix « politiques » qui dépendent entièrement du client. Un quartier peut apporter beaucoup de clients à un magasin, et même être le meilleur quartier de ce magasin en termes de provenance clients, mais également très important pour le business d’un autre magasin plus petit à proximité. Il va donc falloir faire un arbitrage. Est-ce que je veux garantir un maximum d'efficacité pour l'ensemble de la marque ou est-ce que je veux être équitable pour l'ensemble de mes franchisés par exemple ?
Il y a parfois nécessité à soutenir certains magasins et en même temps une forme d’engagement magasin par magasin, ne serait-ce que par rapport à des conditions contractuelles par exemple sur une franchise où chaque magasin paye un dû pour avoir une pression publicitaire et il faut forcément respecter ces engagements.
Ces zones sont aussi dynamiques et évoluent dans le temps, selon les saisons parfois et il est nécessaire de les redéfinir à chaque fois et en fonction des annonceurs. Bien sûr nous automatisons tout ça pour que ce soit bien fait, néanmoins il faut toujours reprendre en compte, campagne par campagne, la taille de la zone, les volumes de trafic des magasins, les volumes de trafic chez les concurrents ou si un concurrent s'est implanté, etc … C'est un travail de veille constant.
B.V.B. : Pour revenir sur la partie achat d’espace media, les DSP intègrent désormais ces nouveaux touch point digitaux, et le modèle tarifaire est impacté par ce changement. Avant, nous achetions un coût GRP en TV ou en radio et aujourd’hui on passe sur du CPM qui devient le dénominateur commun et rend l’achat d’espace plus facile.
A.G. : On voit clairement que les capacités de ciblage et d’activation en local progressent et que cela entraine des réflexions plus poussées sur le mix entre national et local. Est-ce qu’on peut dire que cette évolution contribue à une forme de sobriété dans l'usage des médias et est-ce ça fait progresser la profession dans sa responsabilité vis-à-vis de son impact sur la société et la planète ?
B.O. : Claire expliquait que certains médias nationaux pouvaient présenter des disproportions dans l'atteinte de certaines zones, et ça se vérifie aussi dans le web. Quand on fait une communication nationale, on a des zones qui sont servies en priorité, souvent l'île de France ou la région marseillaise, et on se rend compte qu'on n'a pas du tout essaimé sur le reste. Cette approche locale qui consiste à diviser sa campagne en zone permet de résoudre ça, et ça je pense que c'est important économiquement pour la maîtrise de son budget et puis socialement puisque effectivement il faut que la publicité puisse profiter à tous parce qu'elle peut avoir des bienfaits et il faut qu’elle soit disséminée sur le terrain.
R.G. : La notion de contact utile prend aussi une autre envergure aujourd'hui. Bien sûr, l’objectif est de toucher mes clients, mais surtout, est-ce que je fais bien de dépenser de l'énergie pour toucher cette personne à ce moment-là ! donc c'est une réflexion supplémentaire que je trouve passionnante dans nos métiers et qu'il faudra prendre en compte.
A.G. : Je trouve que l'image de l'énergie est bien trouvée puisque c'est à la fois l'énergie humaine qu'on y passe et à la fois l'énergie qui est consommée pour activer les cibles.
B.V.B. : C’est le syndrome du pot de peinture finalement ! On renverse la peinture qui est le message sur le sol qui est la cible, et on se rend compte qu’on obtient des surcouches et puis des petites gouttelettes et aussi des trous dans la raquette ! Ça c'est l'approche top-down qui pour être efficace à un certain coût et n'est pas très RSE. Avec l’approche bottom-up on gagne en précision, en efficacité et en sobriété.
C.B. : C’est vrai et ça demande d'avoir une vraie réflexion sur les cibles locales et d’y consacrer toute l’énergie nécessaire !
Alexis Goujon
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