La création de messages publicitaires adaptés au local
Stéphane Hugon, sociologue et cofondateur d’Eranos, décortique pour nous les rapports
entre « lien » et proximité et l’impact sur la communication à l’échelle locale
20 août 2022
Alexis Goujon : Bonjour Stéphane, nous nous intéressons aujourd’hui à la création de messages publicitaires adaptés au local que les annonceurs et leurs agences conseils déploient de plus en plus régulièrement dans l’objectif de créer de la proximité avec les consommateurs.
On le sait, la communication « personnalisée » n’est pas nouvelle, le marketing direct et le marketing digital en ont fait un pilier de leurs performances depuis des années. Il s’agit là de s’intéresser à la création localisée qui consiste à adapter les messages publicitaires pour qu’ils s’adressent aux habitants d’une zone ou d’une commune donnée, voire d’un arrondissement ou d’un quartier. La question que je me pose, et nous sommes nombreux à nous la poser, c’est comment peut-on adapter ces messages pour créer de la proximité avec des consommateurs aux profils assez variés finalement ?
Pour introduire le sujet, comme tu travailles depuis de nombreuses années sur le rapport entre le lieu de vie et le lien à l’origine de cette proximité, tu souhaitais nous parler des différentes crises que nous avons traversées ces dernières années et qui ont eu un impact particulier sur le lien social mais également sur le lien avec les marques. Peux-tu nous en dire plus ?
Stéphane Hugon : « Oui, il est important de recontextualiser car cette soif de lien dont on parle est en fait la conséquence de différents événements que nous avons vécu ces derniers mois et dernières années. Ce n’est pas seulement la crise sanitaire, qui bien sûr a produit cette chose terrible qu’est la distanciation sociale, entre les personnes mais également avec les marques et les institutions, mais ce sont aussi d'autres crises qui étaient là avant la crise sanitaire et qui ont joué depuis pratiquement une dizaine d'années à déconstruire une convivialité, un être ensemble, une manière d'interagir les uns avec les autres et qui fait que ça a joué sur la confiance, sur l'engagement, sur le statut, finalement sur énormément de paramètres qui sont très justement à la base de la relation qui existe entre les personnes et les marques.
En fait, il y a une crise qui était plus visible avec la crise sanitaire mais qui ne doit pas occulter que ça fait 10 ans qu'il y a d'autres crises plus muettes, plus secrètes qui vont jouer tout autant sur une forme de relâchement, d'étiolement qu’on constate dans notre société et qui va jouer à la fragmentation. Aujourd'hui, il y a une véritable place pour une nouvelle économie de la considération et je crois que le discours des marques et la communication par leur récit doivent y prendre part de manière de manière réelle.
AG : J’imagine que les marques, selon les produits et services qu’elles proposent et leur positionnement, vont devoir adapter leur propre récit autour de cette notion de considération auprès de leurs consommateurs, qu’en est-il ?
SH : Bonne question, qui revient à se demander si toutes les marques sont éligibles à cette reconnexion, à ce nouveau récit, qui doivent se mettre en place par la proximité ?
Je pense que tout le monde y sera, et toute les marques auront intérêt à reconstruire un récit qui est l'idée qu'on se fait de ce territoire, de cette intimité partagée, de cet imaginaire-là. Pour autant il y a des marques qui partent de plus loin, celles qui sont allées le plus loin dans l’universalisme, le global auront beaucoup plus de difficultés à affirmer une légitimité, à avoir ce récit de la proximité.
C'est vrai qu'il y a des marques qui depuis longtemps travaillent dans le domaine du lien, de la proximité, de l'engagement, je pense par exemple à tout le secteur du mutualisme et coopératif qui a longtemps été ringardisé et qui aujourd'hui reprend avec beaucoup de vigueur cette idée de l'engagement territorial, c'est quand même quelque chose de fort et qui permet de voir que tout le monde n'est pas exactement à la même enseigne. Pour autant, je pense que ça c'est une logique globale qui va s'adresser globalement l'ensemble des secteurs
AG : Ce besoin de proximité, qu'est-ce que ça va concrètement changer pour les marques et notamment dans les dimensions plus globales où plus locales de la communication des marques ?
SH : Il y a tout un champ qui risque d'être moins présent, et qui est d’ailleurs moins efficace ou moins en phase avec l'imaginaire populaire et social, c'est cette idée d'universalisme, cette idée de globalité, l’idée qu'on va avoir une expérience ici et ailleurs qui sont exactement la même. Aujourd'hui, les publics ont besoin de re-enracinement, ils ont besoin qu'on leur parle de sujets qui leur sont intimes, et il y a donc une granularité pour retrouver une échelle humaine et qui doit mobiliser une création, une sensibilité, des choses qui sont très locales - la fameuse blague de la chocolatine et du pain au chocolat - et peut être un critère pour montrer qu'effectivement il y a des formes d'engagement et des formes de proximité qui doivent passer par la tonalité, le rythme et la narration des récits de marques.
AG : Dans nos premiers échanges sur le sujet, tu évoquais également une forme de chronologie de la communication dans laquelle on serait passé d'une communication de masse à une communication hyper ciblée, hyper individualisée.
Ce que j'entends dans ton propos c'est qu’à l’échelle d’un territoire, d’une zone, on va finalement pouvoir construire une communication ciblée, et qui sera en même temps commune à tous les habitants de ce territoire. Qu’est-ce que cela va changer pour les marques dans leur stratégie media et surtout en matière d’adaptation des messages ?SH : Il y a des démarches très pragmatiques qui se mettent en place aujourd'hui et qui sont la conséquence des confinements et en particulier de cette dimension un peu traumatique du tout premier confinement. Chez Eranos, nous avons réalisé beaucoup d'entretiens juste après ce 1er confinement et on a vu à quel point les personnes ont profité de ce moment-là comme un d’un moment de répit, d’introspection qui leur a permis d'accélérer les idées, les projets qu'ils avaient en tête mais qui n'allaient pas se faire jusque-là.
On s'est rendu compte notamment, et c'est ça qui est très pragmatique pour les marques, que là où ça faisait 20 ans qu'on était un peu dans une obsession de l'ultra personnalisation au sens de l'individualisation, et bien on a redécouvert que ce qui faisait la qualité, et notamment le driver du passage à l'acte consommatoire chez les clients, ça n'est pas tant une conviction intime qui peut jouer mais c'est surtout un environnement social.
C'est un peu étonnant parce que c'est ce qui est déjà très mature sur le champ du digital, et on s'aperçoit qu’aujourd'hui il existe une reconsidération du local, c'est à dire de la proximité immédiate, qui a été un peu fantasmée quand tout le monde était confiné. C’est l'idée de la proximité, du voisinage, des solidarités rurales, … tout un imaginaire qui est extraordinaire et qui fait qu'aujourd'hui beaucoup de gens considère l'acte consommatoire comme étant un acte entier, qui très justement va avoir besoin d’un récit, de rebonds, de points de contact qui sont ceux du pays comme on dit, au sens de la proximité, de la localité, du parcours, des rites et des rythmes de la consommation qui va passer par des bribes de messages qui vont dessiner un territoire qui est un territoire à la fois affectif, intellectuel et imaginaire.
Alexis Goujon
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